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Consolidation statutaire et reporting de gestion : l’unification est-elle encore le chemin à suivre ?

La question du niveau d’unification du reporting de gestion et de la consolidation statutaire est centrale dans les réflexions que vont mener les directions financières dans le contexte de renouvellement de leur dispositif de reporting et de consolidation, en prévision de l’obsolescence, à moyen terme, des solutions qu’ils utilisent actuellement.

En matière de gestion financière, cette question suscite un débat important. Ces deux processus, bien qu’ayant des objectifs différents, sont étroitement liés et leur niveau d’imbrication influence considérablement la manière dont une entreprise pilote sa performance financière.

Pour mieux comprendre comment les entreprises doivent s’orienter aujourd’hui, un retour en arrière s’impose.

Deux processus distincts mais complémentaires

Jusqu’au début des années 2000, le reporting de gestion et la consolidation statutaire étaient deux processus distincts au sein des organisations.

Le reporting de gestion pour produire l’information de pilotage de la performance

Le reporting de gestion, reflet du modèle de pilotage interne de la performance financière, fournissait des informations sur la performance prévisionnelle et réelle aux différents niveaux de l’organisation, selon une granularité adaptée à ceux-ci. Il focalisait principalement sur des indicateurs (opérationnels et financiers) de croissance et de profitabilité et, parfois, sur des indicateurs de génération de trésorerie opérationnelle. En fonction de chacune des étapes du cycle de gestion des entreprises, il permettait ainsi de :

  • Traduire l’ambition stratégique poursuivie par le Groupe en indicateurs financiers, sur un horizon moyen-long terme,
  • Refléter l’allocation des ressources,
  • Définir des objectifs à atteindre à horizon court terme comme point de passage de l’ambition moyen-long terme et responsabiliser les acteurs,
  • Mesurer la performance réalisée,
  • Arbitrer les actions correctives à mettre en place pour atteindre l’objectif,
  • Et réévaluer la performance prévisionnelle à la lumière de la performance réalisée.

La consolidation statutaire pour répondre aux exigences de publication externe

La consolidation statutaire, quant à elle, était encore une discipline assez jeune et destinée principalement aux parties prenantes externes. Elle garantissait la conformité avec les normes de reporting financier et offrait une vision plus complète de la performance financière réalisée, en application de ces normes. L’obligation de publication externe recouvrait déjà les états financiers primaires et leurs annexes.

Des données de gestion et de consolidation statutaire difficilement réconciliables

Cet état de fait, qui impliquait bien souvent des processus, des référentiels et des traitements différents, ainsi que des équipes dédiées, se traduisait alors, sur les périodes communes de reporting réalisé, par des données de l’un en apparence incohérentes avec celles de l’autre, et difficilement réconciliables. Conclusion partagée par tous devant tant de perte de temps, d’incertitude ou de confusion : il faut que ça change !

Il est important ici d’insister sur le fait que ces situations n’étaient pas tant liées à l’existence de plusieurs applications pour véhiculer les deux processus, qu’à l’utilisation de processus, de modes d’organisation, de contenus, de règles et de formats divergents.

Un mouvement d’unification d’ampleur a pris forme dans les années 2000

L’intégration de la consolidation statutaire et du reporting de gestion

Au cours des années 2000, forts des enseignements tirés de l’expérience passée, les entreprises ont recherché des moyens d’intégrer ces deux processus pour augmenter leur efficacité et leur fiabilité, tout en répondant aux priorités de chacun d’entre eux :

  • Pour la consolidation statutaire : structuration de la collecte de l’information, piste d’audit, contrôle et conformité normative, couverture fonctionnelle du moteur de consolidation, automatisation de la production des états financiers, entre autres ;
  • Pour le reporting de gestion : indicateurs de pilotage de la performance en vision consolidée, représentation de l’organisation managériale du Groupe, détail de l’information pour supporter l’analyse de gestion (déploiement d’axes analytiques, granularité des valeurs sur ces axes…), souplesse et rapidité d’analyse, analyses ad hoc, notamment.
« Les deux univers et leurs représentants ont réalisé un travail remarquable de rapprochement, d’explication, de remise à plat, et d’identification de solutions acceptables par tous »

Les profils d’unification de la consolidation statutaire et du reporting de gestion

Cette vague d’unification a trouvé une traduction variable en fonction des entreprises, avec un profil d’unification adapté à leur contexte et à leurs besoins de pilotage de la performance :

  • Simple rapprochement des deux processus,
  • Convergence,
  • Ou unification complète.

Le profil d’unification visé par chaque entreprise était défini selon son évaluation de plusieurs paramètres.

Les paramètres à considérer pour définir le profil d’unification de l’entreprise étaient notamment :

  • Le processus de reporting est-il séquencé, enrichi, ou bien unique aux périodes de reporting communes ?
  • Les fonctions Consolidation et Controlling / FP&A doivent-elle être opérées par des équipes dédiées, avec ou sans tâches communes, ou bien par une équipe unique, et selon quelle répartition des rôles et des responsabilités ?
  • Le point d’entrée des données doit-il être différent et permettre de reboucler les informations, ou bien différent mais cohérent par construction, ou bien encore unique ?
  • Les indicateurs doivent-ils être strictement identiques, ou bien être structurés différemment mais avec des termes de bouclage ?
  • Les retraitements doivent-ils systématiquement s’appliquer de manière homogène, ou bien est-il acceptable de n’impacter les données de gestion que des retraitements qualifiés de « Performance », par opposition aux retraitements qualifiés de « Non-Performance », sans levier opérationnel actionnable et/ou passés uniquement dans un objectif de conformité normative ? Notamment, les retraitements induits par l’application des normes IFRS doivent-ils impacter la mesure de performance opérationnelle, ou bien faut-il les isoler, en tout ou partie, sur un segment « autre » ?
  • Les règles de gestion s’appliquent-elles de manière identique ou bien y a-t-il des discordances d’application clairement identifiables ?
  • Les méthodes de consolidation et les taux de contrôle doivent-ils être alignés ou bien est-il acceptable d’utiliser des méthodes et taux dissociés, et traçables, pour mieux refléter, dans le reporting de gestion, la performance économique et financière de l’entreprise, là où la consolidation statutaire refléterait une performance en application des conclusions de l’analyse du contrôle, tel que défini dans les normes IFRS ?
  • Quelle stratégie de restitution de l’information financière du Groupe retenir pour répondre aux besoins de publication interne et externe ?

Des décisions d’unification impactantes

Un travail important sur ces paramètres, et ont ainsi pu définir leur trajectoire de transformation. A cette occasion, les deux univers et leurs représentants ont réalisé un travail remarquable de rapprochement, d’explication, de remise à plat, et d’identification de solutions acceptables par tous, avec inéluctablement quelques renoncements de part et d’autre.

Sur la base de notre expérience, les entreprises ont majoritairement adopté des choix d’unification assez forts :

Processus
Une remontée unique aux périodes communes
Organisation
Une équipe unifiée de reporting interne + externe
Point d’entrée
Unifié
Indicateurs
Un format universel permettant de servir tous les besoins
Retraitements
IFRisation des données de gestion
Règles
Alignées
Méthodes
Même périmètre, mêmes taux, mêmes méthodes
Restitution
Spécialisation des restitutions en fonction des usages

Le dogme de l’unification (un référentiel, une équipe, un système d’information) aura donc permis de sérieusement faire bouger les lignes.
En outre, les choix d’unification se sont nécessairement accompagnés d’évolutions de process qui ont permis de mobiliser des gains matériels en terme de délai de production de l’information consolidée. Ils ont aussi eu pour conséquence de conforter les données produites, qu’elles servent des usages de publication interne ou externe, dans une logique de validation croisée.

« S’agissant des systèmes d’information, aucune réponse universelle ne s’est toutefois imposée et chaque entreprise a poursuivi son propre projet d’unification selon le profil visé »

La mise en œuvre des solutions unifiées de reporting de gestion et de consolidation statutaire, avec les principaux nouveaux outils d’alors (désormais connus en France sous le nom de SAP FC et ORACLE HFM), a traduit ces décisions structurantes selon des clés de paramétrage applicables à la collecte de l’information, aux traitements, aux analyses et aux flux d’informations amont et aval. Aucune réponse universelle ne s’est toutefois imposée et chaque entreprise a poursuivi son propre projet d’unification selon le profil visé, qui a pu se traduire par une application unique ou bien des applications distinctes dans un même outil ou bien encore une application cœur et des outils périphériques pour gérer des besoins spécifiques, aux différents niveaux de l’organisation.
En complément, ces orientations d’unification pour le reporting des données réalisées ont impacté les reportings prévisionnels pour permettre un meilleur alignement de ces derniers avec le reporting réalisé, selon un modèle de pilotage cohérent et relié. Dans un cycle de gestion qui reflète les grandes étapes du pilotage de l’entreprise et cadence la communication financière interne et externe, l’unification visait donc aussi à fluidifier l’enchaînement des remontées et à sécuriser l’information produite, qu’elle soit réelle ou prévisionnelle.

Aujourd’hui, la maturité acquise par les Groupes leur permet de réévaluer
le niveau d’unification à viser et ses modalités de mise en œuvre

20 ans plus tard, la fin de vie des solutions historiques de consolidation et de reporting offre l’opportunité aux organisations de réétudier, à la lumière des réalités d’aujourd’hui, le niveau d’unification à viser dans le cadre de la mise en œuvre des nouvelles solutions qui succèderont à celles historiques.

A quels changements s’attendre aujourd’hui ?

De nouveaux usages et de nouvelles contraintes réglementaires émergent :

La volonté des directions financières de valoriser leur patrimoine de données financières, et, en les croisant avec les données opérationnelles, de renforcer leurs analyses de gestion, au service de la performance de l’entreprise et de la valeur qu’elle crée, ouvre de nouveaux horizons pour le rôle de contrôleur de gestion dans les organisations. Dans ce contexte, la capacité des entreprises à concevoir, définir, mettre en qualité, gouverner et exploiter pleinement leurs données constitue un enjeu majeur auquel la direction financière doit répondre, à minima sur son périmètre de données.

Les exigences de reporting de durabilité (« Sustainability ») vont aller crescendo et la cohérence d’ensemble des données financières et extra-financières, et leur connectivité, est un nouveau défi qui se pose aux entreprises et qui devrait significativement renchérir l’exigence de cohérence des données financières entre elles.

La nouvelle norme IFRS qui remplacera la norme IAS1 « Présentation des états financiers » pour une application à horizon 2025, finira d’acter, à cette date et pour les quelques années qui suivront, le fait que les indicateurs de pilotage interne sur lesquels les entreprises communiquent à l’externe (mesures de performance de gestion) peuvent différer des indicateurs publiés en application des normes IFRS, sous réserve d’un niveau d’information suffisant qui permette au lecteur de comprendre comment ces indicateurs se raccordent. Des impacts plus ou moins importants sur la présentation des états financiers, tels que publiés en application des normes IFRS, sont également attendus.

En outre, tous les questionnements structurants d’hier restent d’actualité. En revanche, les réponses que les Groupes vont apporter à ces questions structurantes pourraient changer.

« De nouveaux usages et de nouvelles contraintes réglementaires émergent et les questionnements structurants d’hier restent d’actualité »

Les questionnements d’hier demeurent mais les réponses pourraient changer

Les objectifs poursuivis par le reporting de gestion et la consolidation statutaire restent différents et aucun n’a la primauté sur l’autre. Si les apports de l’unification sont indéniables pour tout ce qui relève de l’enrichissement du dialogue de gestion au sein des organisations, de la diffusion d’un langage commun, de l’efficacité et de la fiabilité des processus, il n’en demeure pas moins que les promesses d’alors peuvent aujourd’hui sembler ne pas toutes avoir été tenues.

« L’unification des univers décisionnels a aidé à améliorer la transparence et la conformité en fournissant une seule source de vérité pour les données financières de l’entreprise »

Les principaux reproches faits aux dispositifs unifiés sont les suivants :

  • La juxtaposition des modèles de gestion et de consolidation statutaire dans une application unique, logique adoptée par certains entreprises, a créé plus de complexité qu’autre chose – on parle ici d’unicité applicative, pas d’unification.
  • A l’usage, les renoncements d’origine ont pu s’avérer trop contraignants, le cadre, corollaire de l’efficacité et de la fiabilité des processus, s’avérer trop rigide et le centre de gravité des solutions unifiées pencher plutôt d’un côté que de l’autre.
  • La faible capacité des solutions historiques à répondre à certains besoins (par exemple, capacités de simulation / what if, construction budgétaire…) peut, avec un regard actuel, sembler en décalage avec l’universalité que certains ont voulu leur prêter.
  • De nombreuses solutions complémentaires ou spécifiques ont été mises en œuvre, au fil du temps, pour couvrir de nouveaux usages, et ont pu rendre l’information unifiée moins lisible. Les architectures fonctionnelles des environnements décisionnels d’aujourd’hui sont notoirement plus complexes qu’elles ne l’étaient il y a 20 ans.
  • Enfin, au gré des évènements (évolution / changement d’organisation, évolution du modèle de pilotage de la performance, nouvelles exigences normatives et réglementaires…), la cohabitation dans une même solution a montré des limites en termes de souplesse, de flexibilité et de réactivité. Cette situation a pu empirer au fil du temps, à mesure que les solutions empilaient ces évènements en couches successives de paramétrage, avec de nouvelles équipes qui n’étaient pas systématiquement conscientes des logiques du patrimoine hérité et/ou un temps consacré au cadrage de ces évolutions pas toujours en rapport avec leur niveau d’impact.

Un environnement en mouvement qui modifie les critères d’unification à considérer et leur pondération

L’environnement des affaires, bousculé par les crises successives et les innovations de rupture, a renforcé cette exigence de réactivité et d’agilité, tant pour ce qui concerne les processus prévisionnels que les processus réels, et a pu mettre en exergue les faiblesses de pilotage, voire sérieusement questionner le mode de pilotage des activités. De nouvelles approches des processus prévisionnels (beyond budget, budget base zéro…) se sont ainsi particulièrement développées ces dernières années.
Malgré tout, le contrôle financier dans les entreprises a gagné en maturité. L’unification des univers décisionnels a aidé à améliorer la transparence et la conformité en fournissant une seule source de vérité pour les données financières de l’entreprise. Ceci a facilité une meilleure compréhension de la performance financière de l’entreprise, tant pour les parties prenantes internes qu’externes.

« Les systèmes transactionnels jouent un rôle de catalyseur d’unification des univers décisionnels »

En complément, les différentes sources de données et systèmes d’information transactionnels ont poursuivi, et poursuivent encore, leur chemin vers une intégration horizontale plus complète des univers comptables et contrôle de gestion, selon des modèles partagés et homogénéisés partout où les entreprises opèrent. Ils offrent une cohérence, une granularité et une traçabilité de l’information de bout en bout de la chaîne de retranscription des opérations quotidiennes de l’entreprise. En ce sens, les systèmes transactionnels jouent un rôle de catalyseur d’unification des univers décisionnels. La tendance à l’affirmation, dans les entreprises, de la primauté de la balance en normes Groupe sur la balance sociale constitue, de son côté, une preuve de l’intégration verticale des besoins locaux et centraux.

Les cibles à viser

A la lumière de tous ces éléments, et au moment de cadrer leur nouvelle solution de reporting et de consolidation, notre conviction est que les entreprises devraient viser la cible suivante :

  • Faire converger leurs univers transactionnels et décisionnels,
  • Et offrir une expérience sans couture aux décideurs et utilisateurs finaux,
  • Fondée sur une gestion unique de leurs données de base, garantissant l’efficacité d’un langage commun,
  • Pour couvrir les besoins de pilotage de la performance globale (financière et non financière), à tous les niveaux de l’organisation.

De l’unification curative des années 2000 à l’unification libérée : efficiente, souple, évolutive

Les acquis de l’unification volontariste des univers décisionnels, il y a 20 ans, constituent une base solide sur laquelle s’appuyer pour viser cette cible. Renforcer ces acquis fixe certes un cap exigeant mais nécessaire. Ces réflexions structurantes pourront, par exemple, s’engager sur la question des usages d’aujourd’hui et de demain. Il faudra également garder à l’esprit que le concept d’unification de la consolidation statutaire et du reporting de gestion peut s’appliquer de manière pragmatique et très bien vivre avec une spécialisation des processus, des équipes et des outils.

Au moment de repenser son dispositif de pilotage de la performance, ne pas reproduire les erreurs d’un passé qui peut sembler lointain signifie prendre ses distances avec un discours exclusivement technologique. Les promesses d’universalité, de performance et d’expérience enrichie des nouvelles solutions ne prendront toute leur valeur qu’à la condition que le cadre fonctionnel qu’elles véhiculent soit cohérent, efficient et souple.

Ces projets font partie intégrante de la feuille de route de transformation Finance des entreprises et recouvrent des enjeux d’efficacité des processus, de réduction de coûts et de positionnement de la Finance au sein des organisations.